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grandes attaques des ptémérops contre les poivriers en fleurs, et leurs jabots ensuite à caresser, gonflés de grains. Tous mes mouvements, toutes mes habitudes avant une escorte ponctuelle de couleurs ; quand je mangeais des bananes, deux perroquets bleus ; quand j’ouvrais des huîtres, deux plongeurs bistre ; quand je cueillais des mangues, deux bergeronnettes orange qui volaient toujours l’une avec l’autre, s’élevant, se posant à la même seconde, séparées par le même espace, pour que chacun de mes regards eût son rayon… Les premiers mois, cette volière me sauva de la solitude, car la tendresse qu’inspire les plumages je la prenais encore pour la tendresse des oiseaux.

Mais peu à peu je dus reconnaître que nous n’étions pas, eux et moi, de la même époque du monde. Les vertébrés, les mammifères me manquaient comme des compagnons de déluge. J’étais lasse de voir inoccupés autour de moi tous ces gouffres d’air où l’on m’avait appris, dès mon enfance, à loger des esclaves de mon poids, des chèvres, des chiens, des chevaux. Le soir, dans chaque rameau, mille boules décapitées, et seul un oiseau veillant d’une oreille ronde et visible sur tant de corps sans têtes. Jamais d’autres compagnons. Jamais de compagnons avec des yeux obliques, des yeux ovales, des paupières, toujours