Il avait été convenu qu’après chaque leçon, pour
la compléter, j’enverrais à Siegfried un exemple de
rédaction française. Je savais que le raccord profond
entre Forestier et moi ne pouvait guère être obtenu
que par cette correspondance en apparence anodine.
Jamais la conversation de Forestier, même avec son
meilleur ami, ne permettait autrefois l’abandon ou les
confidences. Mais, parfois, nous recevions des lettres,
auxquelles il ne faisait plus ensuite allusion, dans
lesquelles il nous expliquait par exemple pourquoi, la
veille, du Père-Lachaise, il avait détourné la tête au
lieu de reconnaître la Seine invisible à sa gaine de
brume et de tendre l’oreille pour suivre au bruit le
tracé des métros, ou tout autre détail insignifiant
d’une attitude qui se révélait ainsi très complexe et
très sensible. Au téléphone, d’ailleurs, c’était un troisième
Forestier, précis, sec et assez dur ; je ne sais ce
qu’il était par télégramme, par T. S. F. ou par message
spirite. Mais j’étais assuré de l’atteindre par la moindre
écriture. Je choisis donc une rédaction qui me permit
de lui parler de ces ruisseaux limousins dont l’humidité
baignait encore son cerveau et je lui fis un tableau
semblable à ceux des écoles, mais avec sa vraie petite
ville, en y logeant certains épisodes de sa vie même,
comme celui de l’anguille, et en diminuant ou grossissant
démesurément certains objets, pour que sa
mémoire, qu’elle fût devenue myope ou presbyte,
eût plus de chances d’être atteinte. En voici le début :