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J’avais connu le prince Heinrich von Sachsen Altdorf, qui habitait une rue voisine, près du château de Nymphenburg. J’arrivais à sa maison par une suite de jardins français, à travers un quinconce de statues, signées Coustou, de dieux nommés de noms français, puis par un chemin bordé des quinze logements réservés aux contremaîtres limousins ou parisiens qui travaillaient à la porcelainerie, le nom de famille sur la plaque de marbre remplaçant les noms d’arbustes ou de femmes que portent les chalets français, Villa Morin, Villa Forichon, Villa Couillard, à travers des enfants qui s’appelaient Robert ou Marcel et jouaient aux billes avec un mouvement du pouce qui les eût fait reconnaître entre les quinze autres millions d’enfants de l’Empire ; mais, par cette chaussée Greluchot (c’était son nom), je parvenais au centre de ce que je croyais, avec Mme  de Noailles et cent millions d’Américains, l’Allemagne. Le prince, qui devait régner sur Saxe-Altdorf après son frère aîné marié à une sœur de Guillaume mais sans enfants, était né le même mois que l’empereur, et avait étudié en même temps que lui à Bonn, où ils s’étaient brouillés en langue anglaise chaque matin pendant quatre semestres, les précepteurs les contraignant à se réconcilier le soir pour les exercices de français. Le milieu de la journée étant réservé à la langue maternelle, ils n’avaient pas eu encore à se parler allemand. Depuis, car le destin qui a des hommes une médiocre opinion aime insister ou préciser, chacun des actes de Guillaume était reproduit ou devancé dans la semaine ou l’année par un acte correspondant du prince, qui en était, aux yeux de la vraie Allemagne, le désaveu.