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est obligé de visiter dans l’ordre, pour sortir au plus vite, et me chercher. Moi, en face Lauingen, où naquit ce brave Albert le Grand, je lisais avec ravissement toutes les nouvelles contenues dans l’Écho de Lauingen, et les dates de foire de toute la région… Parfois, un jeune homme me ressemblait, Martha s’arrangeait pour être bousculée par lui, il s’excusait, il lui prenait le bras. Elle décidait de me punir par mon sosie, mais soudain s’échappait. Moi, sans pensée aucune, arrivé à l’indifférence comme à je ne sais quelle écluse, en face l’hôtel Ruf de Pforzheim, je me demandais si je n’allais pas prendre à six heures le train qui ramène à Munich. Parfois Martha, un officier à tête rase la saluant, décidait de me punir par mon contraire, et consentait à ouvrir la bouche pour prendre une glace, pour dire que la glace était froide, pour dire que le froid est chose agréable, ne sachant pas qu’un seul sens délivré délivre tous les autres. La nuit était venue. Moi, à la hauteur de Châlons-sur-Marne, surpris par le désespoir et l’amour, je voulais mourir. Cependant que la belle Martha, toute au lieutenant von Todel, en plein centre du Restaurant du Théâtre, prenait sur la nappe, avec des allumettes et des boules de mie de pain roulées, sa première leçon de tennis… Moi, dans un taxi déplorable, sur la misérable Concorde…

Si le major von Podmer est mort pendant la saison d’été, je pense soudain que la sirène de cristal est encore au fond de son lac…