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vénitiens ; d’aimer modérément sans faire la connaissance du Style Jacob Petit, des soucoupes bleu ciel ; d’aimer égoïstement sans savoir raffiner sur la volupté que donnent les girafes en perle, les fils or et rouge pris dans des pompons d’acier accolés à des gueules de lion en améthyste, sans la brocante enfin !) — l’ameublement de teck, d’ébène, et les portraits de Kaufmann. C’était tout un site de ma jeunesse qui s’ornait soudain en mon honneur. Lili me croyait intimidé, ne se doutant pas que mon cœur fleurissait…

— Vous êtes d’une commission de contrôle ?

— Non.

— D’une commission de désarmement ?

— Non.

Il fallut me défendre aussi d’être d’une commission du Danube, du Rhin. Lili n’imaginait plus qu’un Français pût venir en Allemagne autrement que pour retirer une mitrailleuse d’un Emmenthal géant, plonger des lapins dans des vases de glycérine dénoncés comme empoisonnés, arrêter les pigeons au vol et contrôler leurs ailes, décréter le débit futur de la bière et des fleuves allemands… Or, j’étais simplement venu pour voir si les maîtresses de pension et leurs filles sont immuables, puisque l’on ne peut plus compter, pour donner à l’éternité bavaroise un peu de consistance, sur les Bauräthe et sur les majors à la suite ; et d’ailleurs que je me sentais bien dans ce salon où jadis tous les soirs, selon le pays du plus récent pensionnaire, nous nous souhaitions bonne nuit avec des mots nouveaux — buona notte, dobra notche, — qui nous donnaient surtout l’impression