Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tisser à la taille d’un nain, s’agrandir à celle d’un géant, s’orner de nombreux bras, ou ne plus laisser sur la table qu’un cercle gris et mouvant comme en donne le microscope. On eût dit la projection d’une de ces batailles acharnées entre globule vivifiant et globule de mort ; on eût dit la fusion d’un métal, la destruction d’un tissu… Du moindre mouvement de S. V. K., le spectre allemand prenait prétexte pour me dérouter et tripler sa tête, limer son nez, ou ne plus faire de lui qu’une main immense… Triste opération d’avoir à reconnaître ses amis au rayon X !…

Ma peine se doublait de surprendre, à chaque minute, liée à S. V. K. par des fils médiocres mais incassables, l’Allemagne complète. Le facteur passa et jeta des journaux à bande dans une boîte sur laquelle était gravé le nom. On entendit son téléphone sonner. Il avait planté de jeunes tilleuls, il avait préparé un mur pour les tomates ou la clématite. Savoir S. V. K. noué à l’Allemagne par des abonnements de six mois, des contrats de six ans, des tilleuls qui demandaient encore dix années, des tomates qui réclamaient le retour de l’été, du jasmin, plante qui enlace, m’attristait autant que de le savoir dans une vraie prison. Des pigeons bavarois revenaient, à travers les flocons, se coller à sa cheminée, presque à sa chaleur ; des moineaux criaient derrière les volets : S. V. K. était lié à l’Allemagne par ses animaux. Une servante rentra avec une cruche de bière et des bretzels : S. V. K. était lié à l’Allemagne par le sens du goût… Soudain, l’écran devint blanc de neige. S. V. K. allait sortir…

— Le voilà, dit Ida. Approchons de la porte…