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val dont les cors éveillent trop subitement les gardiens de beffroi, étendus par bonheur au pied et non au faîte, et les chambrières qui entr-ouvrent un volet doucement, et de l’épaule, car il faut empêcher l’autre sein de paraître et le pot de verveine de tomber ; une alouette, un coq, mais la seule alouette et le seul coq dont on pût affirmer, à je ne sais quoi dans leur cri et leur plumage, qu’ils ne personnifiaient en rien la Gaule ni la France. Un paysage vu tant de centaines de fois, monticule par monticule, dans Altdorfer ou Wohlgemüth qu’on s’attend à percevoir soudain dans l’air, comme dans leurs dessins et leurs gravures, un gros petit enfant tout nu, ou des mains seules priant, ou des gibets célestes. J’étais, non dans un pays, mais dans une aube de conjuration, de pillage, et qui s’obstinait à ne rien révéler de l’Allemagne moderne. Parfois apparaissait, loin sur la droite ou loin sur la gauche, le clocher d’un bourg où la route finissait toujours par nous mener. Le plus matinal des enfants patinait sur la plus petite des mares. La buse, un trou dans l’air glacé, chavirait soudain de dix mètres. Des bandes de corbeaux, séparés par la chaussée, déléguaient en son milieu les corbeaux héroïques qui se battaient jusqu’au sang et ne s’envolaient pas sous notre cavalcade. Nos chevaux avaient des gerbes droites de fumées aux naseaux, des étincelles à chaque sabot, des éclats d’or au poitrail. C’était juste le paysage où ont eu lieu, grâce aux peintres, le plus de naissances de l’enfant jésus et le moins de repentirs de Madeleine ; le plus de massacres des Innocents et le moins de noces de Cana, le plus de danses macabres et le moins d’Adonis mourants, où aussitôt, dans