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s’il ne copie pas Forestier dans les annotations sur le régime du Danube et le statut des lacs… »

Geneviève était étonnée de mon silence, mais tous les convives, anglais et autres, émus après tout de sentir ce soir sous leurs pieds le centre du monde plus mouvant et sensible en ce lieu qu’au Palais-Royal ou à la Madeleine, étaient, eux aussi, plus silencieux que chez Larue ou chez Stefen. On devait avoir, dans quelques heures, un nouveau président du Conseil ; les Français, amis de la liberté, souhaitaient, en buvant leur fine, un tyran qui leur obéît, à part deux ou trois qui souhaitaient un doux roi qui leur commandât. J’avais conduit Geneviève dans le cabinet particulier orné de gravures de Dalila, de Judith, et de Ninon de Lenclos… Je ne savais pas que Ninon eût fait, elle aussi, tant de mal aux hommes… La présence de Geneviève suffisait d’ailleurs à rassurer… Elle était là, menue et faible, devant son apéritif quotidien, qui lui donnait chaque soir le courage de résister à la vie, et admirant le premier maître d’hôtel comme elle eût fait Jurin de la Gravière. Je ne l’avais pas vue depuis dix ans, époque où sa sculpture ne l’avait pas rendue célèbre et où tous les trois mois elle se fiançait. Le fiancé, selon qu’il était professeur ou ingénieur, se mettait aussitôt à déplacer dans l’appartement de la fiancée les livres ou les ampoules, apportant une pile de nouveaux poètes ou illuminant à la lumière bleue le poisson rouge, — selon qu’il disposait d’un tramway, d’un taxi ou d’une auto, lui révélant Bois-Colombes, Marly ou Chartres, — et il disparaissait un beau jour, sans que Geneviève ait