Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà l’ébranlement que cause à ma maison, tous les soirs, à minuit, un locataire auquel la concierge ne tient pas à ouvrir et qui secoue, comme Samson, mais en criant, le double portail.

*


Était-ce à moi, ce soir-là, à dire les bienfaits du soir ?

Je me trouvais avec Geneviève Prat, qui avait à me remettre une lettre de Zelten, sur le pont de la péniche du Maréchal-Joffre, achetée par le Club des Cent, convertie en restaurant, et amarrée par des ancres au sol de la Concorde. Des bandes de Saint-Cyriens y dînaient, c’était le Borda des maréchaux. Le service était fait par trois stewards, anglais, français et suédois, qui, tous trois, avaient été maîtres d’hôtel sur de vrais navires, et que reconnaissait parfois un ancien passager du ToKya-Moru, du Cretic ou du Calédonien. Geneviève m’avait suivi avec bonheur sur la péniche, car elle détestait tout ce qui est en fer et adorait tout ce qui est en bois. Jamais, lors de son flirt de Toulon, le neveu de l’amiral Germinet n’avait pu obtenir qu’elle vînt à bord du cuirassé, et il avait dû louer, pour lui offrir le thé, l’opium et la lecture de Tristan Corbière, un vieux brick abandonné nommé La Désolation. Aussi était-elle étonnée de voir sur l’eau tant de monde. C’était un bateau qui sentait exclusivement ce que ne sent pas un bateau : la violette, la rose, les fraises et le feu de sarments ; c’était un bateau sans barre de gouvernail (on l’avait démontée depuis le jour où elle avait ba-