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veiller le caviar, et qu’on ne revit plus, si ce n’est à Londres, à Dieppe et à Lennox.

— Toi, tu as vu dans Maghéna une merveille d’idiotie congédiée par le patron. En fait, il a été enlevé par un groupe d’Allemands et habite aujourd’hui Berlin. Tu te souviens peut-être qu’à cette époque régnait dans la Rotonde une agitation, un frémissement que tu t’expliquais par la présence de Courteline qui venait y faire son piquet. C’était Maghéna la cause de ces passions. Ainsi un éphèbe neuf à la Nouvelle Athènes. Maghéna avait été ramené du Congo par un Suisse, nommé d’ailleurs avec franchise Schweitzer, qui l’avait tiré de la prison où il attendait la mort en sa qualité d’homme-Tigre. C’était le chef de la marmite de Dibamba, c’est-à-dire celui qui procédait aux sacrifices humains d’initiation du district. Je ne te dirai pas qui il avait tué ou mangé, les victimes devant être des parents de plus en plus rapprochés du chef, et ses menus d’ailleurs ne lui conféraient, entre Gabon et Oubanghi, nulle originalité. Mais il était le dépositaire de pas mal de secrets hypnotiques, et son regard était la plus belle déformation de la lumière et de la pensée qu’on ait vu à Berlin depuis Lilidny. Je lui ai rendu récemment visite dans le taudis de Rummelsburg où ses séquestres le font jeûner ou le gavent selon l’intensité qu’ils veulent donner à leur phare. Toi, Français modèle, pendant que la ruche était en révolution sous la présence du fétiche, tu attribuais bruits et rumeurs au fait que Courteline venait de faire un grand schlem à sans atout sans avoir d’as…

Il s’interrompit. Je vis au fond de la nuit l’étoile