Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brouillé avec ma belle-mère et j’ai une sinusite à l’état chronique… Je suppose par contre que le sort t’a donné tout ce qui est le lot du petit bourgeois français, tu as été aimé d’une princesse régnante, tu as trouvé un nouveau rapport entre les mots et les couleurs, tu as été jeté sur une Cyclade déserte et y as vécu avec Miss Campton et Lénine… Tu n’as pas changé d’ailleurs… Tu ressembles toujours à s’y méprendre à Charles XII… Quel cadeau pourrais-je bien te faire en cet honneur ?

Il se leva, retroussa sa manche gauche, et me montra la trace de la balle qui avait amaigri son bras (c’était la première fois, je crois, que je voyais guérie la trace d’une balle française). Un tatouage entourait en soleil la cicatrice.

— Tâche de lire, dit-il. Le prisonnier Belt Jones, tatoueur du roi, que j’ai utilisé pour ce chef-d’œuvre, a voulu que les majuscules fussent gothiques et a entremêlé les mots d’anglaises.

Je lus, et vite, car déjà approchait Jacqueline Yourst, qui collectionne les inscriptions tatouées :

« … L’Allemand qui possède cette peau ne haïra jamais la France… »

C’est ainsi que j’appris un soir, à la Rotonde, en payant deux apéritifs, que ma longue moustache-antenne de droite pourrait un jour repousser.