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Borgia vieux, à Savonarole jeune, à Baudelaire à la fleur de l’âge, il ne lui restait plus que les villes. Il était assiégé de toutes parts. La première petite émotion, le premier reflet de la Renaissance ou de la Réforme sur moi, allait le forcer, — car il ne savait se retenir, — à m’abandonner Metz, Strasbourg ou Colmar. Il tentait d’esquiver l’issue funeste en me glissant par dérision des districts que je ne pouvais introduire dans mon puzzle et qui étaient ceux de cités allemandes qu’il avait en exécration, comme Gœttingen ou Borchum… C’est Strasbourg qu’il rendit avant Metz, gardant jusqu’au bout la ville militaire, comme l’eût fait un général, respectant instinctivement les ordres de son empereur. Puis vint Heidelberg, cette nuit de lune et de parfums que je passai toute, assis près de lui sur la pierre du château, où justement je ne ressemblais à personne, à personne, et à peine à moi-même, où les étoiles, sacrifiées à je ne sais quelles amitiés et analogies divines, se détachèrent l’une après l’autre de la carte du ciel… et j’eus Metz… Je n’avais plus qu’à jouer le même jeu avec les soixante autres millions d’Allemands.

— Oui, reprit-il, je me suis battu quatre ans pour reprendre ce que j’avais déjà donné. Il est vrai que je ne l’avais donné qu’à toi…

Je lui demandai ce qui lui était arrivé en ces huit ans.

— Je te dirai cela demain, dit-il. J’ai rendez-vous avec Geneviève Plat et je ne t’attendais point… Il m’est arrivé tout ce qui arrive aux Allemands diaboliques et romantiques, j’ai hérité d’une part dans une fabrique d’objets en caoutchouc, je me suis