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Kessler, et Lantelme, et un grand blond dont je me souviens, mais cela c’est une autre histoire…

La porte s’ouvrait. Ce n’étaient ni les fourmiliers, ni les rats, ni le cortège des humains dont la présence l’agaçait, des actrices aux députés, ce n’étaient pas non plus, hélas ! les Bernardo de Rothschild. C’était le docteur avec sa morphine. Il essayait de la faire taire.

— Je me tais. Mais ce grand blond, malgré tout, j’y reviens. Une brute, qui croyait tous les autres êtres des brutes, ne les aimant que pour cela, et disparaissant le jour où il doutait de leur brutalité. Que n’ai-je pas commis pour retarder ce jour-là ! Sous ses yeux, je touchais en brute à mes oiseaux, aux verres, à moi-même. Dès que j’étais seule, j’essayais de réparer en embrassant et caressant comme je pouvais ces pauvres objets et cette pauvre femme. Mais cela ne vous intéresse point, Kleist. J’ai des projets sur vous. Voulez-vous que nous fassions l’aveugle et le paralytique. Je n’ai plus rien devant moi, mais j’ai un petit passé. On n’arrive jamais à la mort sans dot. Je voudrais vous léguer ce qui peut subsister de ces trente-six ans, et deux ou trois commissions. Je tiens à ce que vous habitiez parfois ma maison de Solignac. Vous hériterez de moi, de moi-même ; j’ai écrit dans ce papier deux ou trois de mes manies que je voudrais ne pas voir périr, car je n’ai pas de petits-neveux auxquels elles reviendraient naturellement, comme disait Heine dans sa troisième lettre. Je tiens à ce que vous soyez à Paris pour l’Exposition coloniale de 1924. Celle des Arts appliqués, je m’en moque. (Arts appliqués est d’ailleurs une faute de français.) Je tiens à ce que