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peu usées, étroites, et qui entraient dans toutes les mains amies comme dans un fourreau, avec de bien inutiles petites rides pour le sang. Elle avait peu de fièvre ; le mal l’attaquait par assauts qui déroutaient les docteurs, enflant subitement un de ses bras, entourant son front d’un bandeau inconnu. On eût dit qu’il essayait sur elle de nouvelles façons de tuer. Le matin où elle en était au passage à Paris du roi d’Espagne, elle sentit ses jambes froides, et le froid monter. Mais c’était trop peu pour une pauvre créature abîmée par la vie, les excès et l’insouciance. Une péritonite se déclara, puis une pneumonie double, puis je ne sais plus quoi encore et par ses armes les plus vulgaires la maladie parvint à triompher de cette enfant.

— Ne parlez pas tant ! répétions-nous.

— C’est que je n’ai jamais tant pensé, mes amis. Quelle drôle d’histoire que la vie ! Peut-être personne dans une semaine ne pourra plus parier à la première personne de moi, de mon corps, de mes yeux, et cependant je ne renonce à aucun de mes goûts ; je préfère toujours le jaune aux autres couleurs ; je sens le bleu, le rouge intriguer autour de moi, essayer de m’attendrir, profiter de ma faiblesse, rien à faire ! Je continue à détester jusqu’à la dernière minute les gâteaux secs, le crêpe de Chine, les tapis Aubusson empire… Mon Dieu, qu’ils sont désagréables au pied !… Pour les animaux et les hommes, au contraire, je n’ai plus de parti pris, plus aucun. Dieu sait si j’ai pu détester les singes, les animaux à langue visqueuse comme le fourmilier, les rats ; je les verrais sans ennui entrer maintenant par centaines dans ma chambre ; et aussi d’ailleurs ce pauvre Bouguereau, et aussi cet hypocrite de