Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme près de lui feuilletait les journaux. Il avait soulevé sa tête, de ses mains, et l’offrait au soleil comme on offre une part de soi aux rayons X. À tout bruit, à tout murmure de cascade, il tendait l’oreille avec la demi-grimace de ceux qui croient avoir entendu crier leur nom. Son lecteur lisait les dernières nouvelles de chaque nation, qu’il écoutait religieusement, comme si l’espoir lui restait de deviner son pays au nombre des ouvriers chômeurs, des incendies ou des duels entre parlementaires et il se promenait sur l’Europe comme un sourcier… Que peu de nationalités d’ailleurs paraissaient enviables !

— Et en Italie ? demandait-il.

— Le brave Gasparri a conclu un traité avec les bolcheviki. Les fascistes marchent sur Rome et les récoltes sont mauvaises. D’Annunzio s’est fracassé la tête, et une maladie appelée carico sévit dans les houilles.

— Et en Hongrie ?

— Les fonctionnaires des provinces cédées, qui logent dans des trains, ont obtenu des wagons de seconde. C’est la seule information de bonheur. La récolte est mauvaise. Une maladie appelée charnin sévit près du Balaton.

— Et de Russie ?

— On a découvert à la fonte des neiges quinze mille cadavres dans un coude de collines, là où les pxospecteurs espéraient trouver du pétrole. Deux Américains de la Croix-Rouge rapportent les photographies de petits enfants qui ont mangé leur père.

— Et des pays baltes ?

Il semblait ne pouvoir se résoudre à questionner le