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sa lettre d’Anatole France ! Les dictateurs collectionnent les autographes et disparaissent. En tout cas, il a trouvé au courrier la mienne où je réclame les 230 marks. Au fond, tu le connais, ce n’est qu’un Allemand, ce qu’il attend, c’est Goethe, c’est le vrai Kleist. Mais la France est le seul pays où les morts règnent et arrivent au commandement. Il ne veut que des Bavarois en Bavière ! C’est comme s’il ne voulait que des Allemands en Allemagne. À qui est l’Allemagne, sinon à nous ? Cette belle bourgade de Berlin, à qui est-elle ? À qui est le village de Francfort ? À qui est le district de Leipzig ? À moi. À toi. À nous. Que Zelten me trouve un bateau, un théâtre, une barque où nous ne soyons les maîtres ? Chez Rheinhardt, l’autre soit, au Marchand de Venise, il n’y avait pas un seul chrétien dans les quarante-trois acteurs qui insultaient Shylock ? Que Zelten me cite un seul beau livre ou me montre un seul beau tableau fait depuis trente ans par d’autres que par nous ! Qui est Schnitzler ? Qui est Cassirer ? Qui est Rathenau ? Qui est Liebermann ? Le bec de l’aigle allemand c’est notre nez.

— Tais-toi. Tu parles comme un national-libéral ! On nous écoute.

— Qui nous écoute, ma reine ? Le Canadien ? Je me moque cent pour cent du Canada. Je me moque de l’Amérique. Le billet coûte trois cents dollars. Laisse les Allemands s’y précipiter, y cirer des bottes, vendre du sirop et y tendre le dos à l’American Legion. D’ici, avec dix pfennig, je vais au cœur de l’Allemagne. Le petit Kieterfeld est allé au Canada, on lui a volé une dent en or qu’il avait dans son porte-