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Robert et le Granet de l’an passé pour saisir le Piranèse), j’appris qu’ils avaient été apportés d’Allemagne par le petit comte von Zelten, qui les avait choisis à cause de cette ressemblance et avait demandé qu’on me prévînt. Il me faisait dire qu’il possédait un autre carton, si j’aimais toujours les Rembrandt, et qu’il serait tous les soirs vers six heures à la Rotonde, si j’aimais toujours les Boches… Il était cinq heures. Je me hâtai au rendez-vous avec l’aide d’une ligne d’autobus de nouvelle création, mais que Zelten justement aurait eu jadis grand avantage à connaître, car son parcours touche successivement, par hasard ou par bonté municipale, les quatre Monts-de-Piété épars dans Paris…

À l’angle du boulevard Raspail et du boulevard du Montparnasse, à la terrasse d’un café au milieu de laquelle, parmi les tables, débouchait la sortie du métro, j’attendis donc Zelten. C’était un de ces beaux soirs de mars où le soleil n’est pas encore soutenu une heure de plus au-dessus de l’horizon par les députés ouvriers, et dès qu’il effleurait la ville, il s’étalait comme un œuf sur la gare et la Tour Eiffel. À cette intersection de la route d’Orléans et des routes de Dreux, à ce carrefour où les seuls passants ne devraient être que Tourangeaux, Beaucerons et coquassiers de Choisy, était installé tout ce que Paris compte de Japonais expressionnistes, de Suédois cubistes, d’Islandais graveurs, de Turcs médaillers, de Hongrois et de Péruviens à vocations complémentaires, chacun agrémenté d’une demi-épouse à maquillage individuel et dont aucune n’employait les mêmes couleurs pour les yeux ou les lèvres ; cha-