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le vrai Caldear, caché derrière le faux, qui faisait maintenant les gestes.

Molière était présent et me parlait.

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Kleist décida que nous irions, pour nous reposer de Berlin, passer quelques semaines à Sassnitz.

Sassnitz n’a rien de bien attrayant. Surtout au début de mai. L’eau de la Baltique y était à peu près aussi froide que l’eau de la grotte chinoise au bain Ungerer, et la troupe des douze beautés que l’on plonge en début de saison dans la mer ou dans les lacs devant le casino de chaque station balnéaire pour assurer un stock de cartes postales revenait sur la grève avec vingt-quatre jambes rouges. Elles étaient le principal attrait de notre hôtel, où elles répétaient habillées les tableaux vivants qu’exigeait dans les flots le concessionnaire de Binz, de Ruegen ou de Swinemünde. Un médecin les accompagnait, un certain docteur Wolff, spécialiste du cœur et de grande malpropreté qui achevait une étude sur les palpitations des cœurs féminins dans l’eau. Il suivait les quarante-huit ventricules et oreillettes dans la mer même, où il pénétrait avec un imperméable et qu’il évitait d’effleurer, levant les bras comme s’il se rendait à elle. Revenu à terre débarrassé des cœurs aquatiques, il guignait fort du côté du cœur d’Eva et du cœur de Geneviève qui nous avaient rejoints. Nous nous levions avec le soleil, et voyions alors ces dames nues, car elles travaillaient à cette heure pour les cartes à quinze centimes. Toujours vêtues d’un seul manteau