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poussait à éternuer sans relâche, — quelque don de Lope de Véga, — et il n’était pas outrageusement beau, et il se curait les dents avec un cure-dent dont le seul mérite était d’être en or, ou parfois, quand il se croyait soudain à l’abri de chacun des trois cents regards, avec sa main entière, d’or aussi et de pierreries. Mais la plus belle actrice de Paris, — la première, aurait-elle dit, — ne le quittait pas des yeux, non pour le voir, mais pour savourer le plaisir de prononcer son nom tout haut en l’ornant d’épithètes : « Caldear vient de renverser son verre de champagne sur Worms Baretta. » « Ce cochon de Caldear va avaler son auriculaire. » Entre ce nom vivant et le premier violon, elle tendait lentement la main droit devant elle pour répondre à un fantôme, le toucher, et les larmes dans chaque œil bleu coulaient de la paupière supérieure à la paupière inférieure qui les buvait, habituées à ne point glisser sur la belle joue en rose.

Puis, le Cid Campeador terminé, les tziganes jouèrent Morte la Vie, et ce fut alors mon tour d’être balancé comme elle, car Morte la Vie était le premier tango que j’entendis sous son vrai titre de Vivante la Muerte au pays des tangos, et moi aussi je venais d’apercevoir à la droite du sénor de Caldear un illustre linguiste qui s’appelait Forestier. Lui, dont chaque livre décrit la ruine et l’atrophie des mots, surgissait là pour m’apporter intact le nom de mon ami, se moquant de cette contradiction apparente. J’avais pâli si fort que la belle actrice m’avait examiné et touché le visage, comme s’il lui parlait, y découvrant les symptômes de la première maladie qu’elle avait eue et qu’elle appe-