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indécis sur l’existence de Dieu, ces rabbins incrédules, ces généraux sceptiques sur la valeur de l’Empire, croyaient. Mais, à cause des dix secondes, Gœthe se dérobait. Il dominait ce jour de si haut qu’on n’osait lui parler que par des intermédiaires qui étaient ses héros, Wilhelm — Meister ou Götz, ou par des intermédiaires d’intermédiaires qui étaient ses critiques. Hélène, Faust, Homonculus, dont c’était justement le centenaire, étaient promenés dans les phrases comme des statues dorées pour écarter la sécheresse, si bien que la cérémonie, au lieu de s’adresser à celui qui console ou qui ressent, semblait offerte à une idole qui fait pleuvoir ou neiger à son gré. Gœthe se dérobait. Il se dérobait aux nationaux libéraux, et ne leur donnait aucune solution pour la Haute-Silésie ; au Centre, et ne lui donnait aucune aide cismontaine ; il se dérobait aux sociaux-démocrates, aux meurtriers et aux meurtris. Comme tous ces écrivains qu’on dit mondiaux, comme Shakespeare, comme Cervantès, il ne voulait être d’aucun secours dans ces crises où le seul nom de Molière, de Voltaire ou de Hugo venge le vaincu et donne un conseil aussi précis que l’indication d’une rue ; et quand on observa ce long silence que les Américains organisent à la minute anniversaire de la naissance du Christ ou de la victoire d’un ballon américain dans la coupe aéronautique, ce n’était pas seulement l’Allemagne qui se taisait, c’était Gœthe. Une nation à ce point désorientée et malheureuse ne devrait pas avoir à fêter, comme son sauveur, le modèle du bonheur et de la sagesse. Une nation amoureuse de la mort et des extrêmes, celui qui n’était que vie et que modération. Car c’est le destin de l’Alle-