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per depuis qu’elle a dix ans… C’est certainement l’Allemande qui a le plus mangé de 1914 à l’armistice…

Pourquoi la petite Inge venait-elle aux danses de beauté depuis qu’elle avait dix ans ? Sa mère, une fois épuisées les dernières initiales de l’armorial et après le dîner von Zyppau, avait-elle recommencé l’alphabet dans un monde plus gai et durable ? Comme le capitaine congédiait d’un geste la muse sténographe, la petite Inge arracha sa robe, la laissa sur sa chaise avec son sac comme font les suicidés, et, dans une pyrrhique qui rappelait la forme la plus moderne de la nage, les jambes bougeant à peine et le travail étant réservé aux bras, offrit aux Kuntsfreuden un corps charmant sur lequel les yeux des amateurs furent condamnés à errer au-delà des sept minutes réglementaires, car il ne comprenait point de gorge…

Ainsi revient le passé à Berlin… Ainsi cette ville ne nous redonne de notre passé que des épaves toutes neuves, des empreintes jamais sèches. Tant d’événements, d’ailleurs, s’y accumulent sur chaque famille, grâce à ses membres pullulants, tous à la recherche d’inquiétudes et de richesse dans les cent mille annonces du jour ou dans les colonies allemandes du monde entier, que l’aventure est devenue un élément normal de la vie, et que ce goût d’existences uniques et légendaires plaqué sur un sol bourgeois et poétique, a désigné l’Allemagne pour prendre, après mille ans, sur le Rhin et la Sprée, l’héritage des empires orientaux. Toute cette poésie que l’Angleterre n’obtient plus chez elle, même en posant ses universités et ses écoles de poètes sur les rivières soumises à la houle et en dirigeant le jeu de l’âme par les marées, le remous de la