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Walden dut se limiter aux seules bêtes qui réussissent en appartement berlinois : aux têtards et aux reptiles. Mais aucun serpent ne poussant le Conseiller d’État Balin, le grand spécialiste des boas, à manger la pomme qui lui rendrait désirable la rencontre de Walden, celui-ci avait eu recours aux bêtes héraldiques et imaginé de publier les écussons des blasons prussiens. C’est alors qu’il armoria ses enveloppes, et que Lotte, sa jeune épouse chrétienne, put faire figure dans la noblesse, dont chaque famille l’invitait une fois, le jour où Walden apportait le premier tirage du blason, l’évinçant pour toujours, dès le soir, dès que les couleurs, dès que la chimère ou l’hermine étaient sèches.

J’adorais Lotte. Douce au conquérant de 1907, tendre au vaincu de 1870, elle n’avait qu’une manie : s’attacher, non point seulement par son vivace sentiment, ni par son vivace appétit, mais par une attache réelle, ceinture ou chaînette, à celui qu’elle aimait. C’était l’époque où le prince de Monaco, désireux d’éviter la guerre franco-allemande, avait trouvé le moyen préventif de présenter sur l’Opéra de Berlin, les décors de Gunsbourg et de Xavier Leroux. Tous les soirs, nous assistions à cette entreprise pacifique qui se terminait sur la scène par des assassinats en nombre inconnu dans l’opéra wagnérien. Lotte me montrait du doigt — elle n’avait plus à être polie avec elles — les duchesses et les comtesses qui l’avaient déjà invitée, du menton celles qui l’inviteraient un jour (elle en était aux von Granest, l’armorial étant publié par lettre alphabétique, les Blaudorf étaient passés, les Sagan viendraient l’an prochain), et de la langue les