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comme un arracheur de dents. Général, je vous le demande : Aimez-vous au fond l’Empereur ?

Je traduisis, à ma guise encore, que M. Grane trouvait le lac ravissant et Ludendorff répondit en indiquant sa profondeur et sa beauté au soleil couchant. M. Grane frémissait dans l’attente de la réponse, qui lui vint par mon truchement sous cette forme :

— Le général aime l’empereur d’amitié. Mais il est républicain.

— Hurrah ! cria M. Grane enthousiasmé. Quelle joie quand les généraux des empereurs sont républicains et ceux des républicains monarchistes, comme Castelnau ! Ce sont les meilleurs généraux !

Ludendorff parut à peine surpris de voir acclamer son opinion sur le soleil

— Général, continua M. Grane, j’adore la loyauté. Je tiens la mienne de mon arrière-grand-mère, qui avait du sang grec. C’est elle qui a rendu populaire à Salt Lake City le dicton « loyal comme un Grec ». Elle était venue des Carpathes s’embarquer à Hambourg, recueillant sa vie à montrer une ourse, je vous dis cela loyalement, qui mourut à Budapest en mettant bas un ourson. Nous soupçonnons les Serbes de l’avoir empoisonnée. Ma pauvre aïeule eut ainsi un voyage difficile, car la muselière de la mère était trop grande pour l’ourson. C’était un supplice, loyalement parler, et pour les deux, d’avoir à l’ajuster sans cesse avec des cordes au collier. Je vous demande donc, général, ce que vous dites de la Honte Noire. J’ai dans ma poche cette belle médaille que votre ligue distribue pour avertir vos vierges et qui représente l’Allemagne nue enchaînée à un gigantesque phallos