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dans son jardin. Il arrivait d’un défilé exécuté par les enfants des fonctionnaires allemands retirés des provinces cédées à Versailles et réunis, comme les cygnes et les chamois jadis épars pour la grandeur allemande, en colonie au bord de l’Alpsee. C’était la première fois que les enfants avaient défilé sur le sol et non sur la neige ; ils avaient entendu le son du pas de parade, et leurs petits visages s’épanouissaient. Le général nous reçut debout, dans un salon qui donnait sur le lac et sur les villas assemblées, elle aussi, semblait-il, de la Saxe ou de la Baltique, villas du Kronprinz, du prince Eitel Friedrich et du vieux Moltke. Son mobilier n’était remarquable que par deux petites cantines, celles qu’avaient reçues tant de châteaux polonais, belges ou ardennais, ces deux cercueils d’enfant que traîne tout général dans ses conquêtes et ses exils, moins sage et moins prudent certes que le plus léger Chinois. Il attendit, le regard voilé par deux paupières en bandeau. M. Grane d’ailleurs nous empêcha de placer la moindre phrase. Je suffisais tout juste à le traduire.

— Général, cria-t-il, en votre personne je salue l’Allemagne ! L’Allemagne est battue, bien battue, mais grâce à vous elle est invaincue !

Je fus interprète infidèle et me bornai à saluer l’hôte.

— Général, continua M. Grane, nous sommes ici pour nous dire la vérité. Nous sommes entre Ludendorff et Grane. Moi je suis franc et loyal. Je tiens ma franchise de mon grand-père Grane, le dentiste de Salt Lake City, celui qui fit rayer des grammaires américaines l’ignoble expression française : menteur