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pression qu’il avait jailli soudain à la vue de l’inspecteur primaire et du droguiste d’Ecueillé, était mort depuis trois mois. J’en ai un remords éternel ! Il était si facile de demander une dispense, d’être reçu un an plus tôt et de permettre à mon grand-père de me donner avec plus de confiance qu’à un petit-fils sans diplôme ses derniers conseils !… La santé m’était venue, et celui qui l’avait cherchée en moi, par des soirées d’écoutes, était mort. La richesse m’était venue, subitement, quelques mois après la mort du tuteur qui avait partagé avec moi, pendant dix ans, les 2.300 francs de sa retraite. Tous les objets qu’il disait en riant attendre de mes futurs millions me sautent encore aux yeux, du fond de chaque vitrine : ses lunettes en doublé, sa robe de chambre en faux poil de chameau, sa valise en fausse truie, car il n’imaginait même pas que l’or, le vrai poil de chameau et le vrai porc pussent un jour entrer dans sa vie, et, dans chaque chapellerie, parmi les initiales d’argent piquées sur le velours comme les décorations d’un mort m’appellent ses deux initiales, pour lesquelles il n’eut jamais les deux francs nécessaires, et qui étaient pourtant les plus faciles à saisir, l’A et le B. Voilà pourquoi, à la vue de Geneviève, je me jurai d’aller trouver au fond de leurs jardins, ensoleillés, il va sans dire, là où l’ombre était nécessaire, ombreux là où il fallait le soleil, et malgré la certitude de les trouver, les Bernardo de Rothschild.

Je pouvais en attendant montrer à Geneviève Ludendorff, et elle accepta de partir le lendemain avec Kleist pour la troisième tournée Meyer. L’auto vint nous prendre par un beau soleil. La neige était fon-