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ment en Thuringe et en Souabe, à l’usage de ces débats, plus de cravaches, plus d’aumônières de velours, plus de baisers pour ennemis que dans le monde entier. Surprenant les mains d’Eva déchaînée par un geste que je n’avais pas révélé dans ma feuille matricule au Rectori Magnifico, immobilisant ses genoux par une méthode que j’avais apprise d’ailleurs depuis l’Université, je limitais tout mon péril à ses dents et ses lèvres par la pratique assez connue, si vous voulez, en Picardie, et dénommée baiser. Assuré que cette amazone nourrirait encore de myrtilles et de quenelles sa hanche d’Adam Kraft et son sein de Penthésilée alors que depuis longtemps seraient plantés sur ma tombe les arbres différents que j’ai indiqués au hasard comme mes arbres préférés à mes amies, le petit catalpa, le laurier, le chêne-liège et le saule non pleureur, je l’embrassai… J’avouais peut-être ainsi que je n’étais pas un Chapdelaine. Mais c’était la fin de la scène… Mais c’était ce qui correspond, en Écosse, aux appels de Miss Draper, le chaperon, pour le golf ; aux États-Unis, à la morsure faite par le petit blaireau, et, sur l’océan Indien, à la mer calme, calme au-dessus des dix mille Chinois noyés dans la minute, sans vagues, mais éventrée de sillons comme un champ. Eva n’avait pas reculé.

— Je ne sais si je hais tous les Français, dit Eva, perfectionnant l’exemple classique de la litote : je hais la France. Tous les soirs, je fais réciter à mes petites cousines la prière contre la France, que répandent nos ligues.

— Récitez, lui dis-je. On gagne des indulgences à toute heure.