Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tante Schadow et de la Madeleine de Cranach, les dents de mon grand-père Curlus et de la sirène d’Adam Kraft, la poitrine de mon arrière-grand-mère Dorothée, et, celle, double, bien entendu, de Penthésilée. Mais vous, qui êtes-vous ?

Je n’avais plus peur des femmes. Ma peur venait autrefois de ce que je les croyais rares et périssables. Mais je savais, depuis la guerre, que c’est dans le corps de l’homme, infiniment plus fragile, que se logent tous les aimants qui attirent le plomb, le fer, l’acier mortel. De toutes ces amies de jeunesse que j’avais eu de telles craintes d’abord d’effleurer, puis de palper, puis d’étrangler, aucun ne manquait encore à l’appel. À peine leur cohorte, pour user des mots poétiques chers aux sénateurs, quand ils disputent du vote des femmes, à peine leur cohorte s’était-elle acquittée, par le don d’une jeune poitrinaire ou l’aide d’une vague de fond, de l’impôt le plus dérisoire. J’étais sûr de mourir avant Eva. Cela m’enleva tout scrupule.

— Votre nom ? répéta-t-elle.

Je lui déclarai que mon nom était Chapdelaine ou, plus exactement, Chapedlaine.

— Mon cher Jean, disait-elle, jouons franc jeu. Zeten m’a rappelé, à propos, que je vous avais connu jadis. J’ai retrouvé vos initiales sur une de vos lettres à mon père, votre nom dans le catalogue de l’Université, et j’ai obtenu du recteur votre feuille matricule… La voici…

Elle me tendit, en effet, ma carte de 1906, sur laquelle il était écrit que j’étais né en Limousin, que j’habitais l’Ile-de-France, que j’avais étudié en Berry