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sans arrêt entre elles une comédie d’étamines, chacun des glissements de ses yeux sur son visage, de son visage sur le fond de la toile, figurait un épisode dans cette lutte de la jeunesse avec une force qui, pour les films au ralenti plus encore que pour les accélérés, ressemble si fort au dépérissement et à la mort. Le parfum était à peine perceptible et comme suggéré, toujours comme pour les fleurs des projections. Parfois, ainsi que vous voyez s’épanouir soudain une partie jusque-là invisible ou rigide du chrysanthème Bourla, un coin d’Eva fleurissait pour moi de façon imprévue. Ce jour-là, voyant mon admiration, elle tira la langue.

— Qui êtes-vous ? dit-elle. Quelle est votre biographie ? Quels sont vos continents ?

Le jeu qui consiste en France à calculer combien de départements vous connaissez chacun, ne se joue en Allemagne qu’avec les continents. On en inventa même de nouveaux pour compliquer le jeu : Mitropa, Gaelica… Ce que j’étais ? J’étais quelqu’un qui ne connaissait pas l’Amérique, l’Asie, et, — demande-t-elle à être un continent ? — l’Irlande. Mais, tout ce qui peut vivre de femmes blondes à yeux verts aux environs de Seattle, de Trebizonde et de Dublin, j’étais quelqu’un qui les connaissait. L’ami de la femme du consul suédois de Cork, dont les yeux ne furent verts qu’une année, par bonheur celle de mon séjour, ce n’était pas, comme on l’avait prétendu, O’Sullivan Dolywood, c’était moi. Celui qui se brouilla avec Betty Scheff, qui prétendait le faire asseoir du côté de son œil noir (ses yeux étaient vairons), ce n’était pas, comme il fut publié, Oscar-