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magne n’inondât soudain le Brésil entier, le Gulf-Stream, et quelque constellation. Nous prenions la terre comme on prend une femme : en étant là continuellement ; en la menant à la musique ; en la menant à la parade ; en adorant les géraniums ; en étant propres, et chacune de nos villes avait sa baignoire ; en allant à Ténériffe par bande d’astronomes quand Mars se rapprochait d’elle et en lui offrant un album d’honneur avec autographe d’Einstein pour cette conjonction ; en faisant verser par des Allemands dans chaque hôtel et dans chaque restaurant du monde entier le café-crème, Wagner et le champagne. Ce qu’on a appelé notre force de propagande n’est pas autre chose. C’est cet amour du globe qui éparpille nos enfants sur chaque continent, d’où s’échappent aussitôt le fumet des choucroutes et les voix des quartettes et des harmonicas ; un amour physique de la planète, qui nous pousse à aimer sa faune et sa flore plus que tout autre peuple, à avoir les plus belles ménageries, les plus beaux herbiers, à fournir de fleurs en cristal les universités asiatiques et tropicales ; et aussi à l’aimer (ce qu’elle sent, prodiguant de préférence à nos chimistes et à nos physiciens ses rayons secrets, ses électricités, ses ectoplasmes), dans ses minéraux et ses essences. Il se trouve qu’en plein siècle nuptial, nous nous sommes heurtés à un peuple qui ne l’aimait plus que d’un vague amour platonique, mais que choquait notre étreinte, car, il faut bien le dite, la terre, nous l’étreignions. Il nous a vaincus, mais, vous qui connaissez la France, monsieur Chapdelaine, vous nous rassureriez et nous consoleriez, si vous preniez sur vous d’affirmer qu’elle est capable