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un chancre. Je l’accuse, chez le coiffeur, de me faire passer le blaireau exclusivement sur les lèvres alors que ma barbe est confinée à mon menton. J’accuse aussi l’Allemagne d’accuser tout le monde.

Le prince dit :

— Nous autres Allemands l’accusons de bien d’autres fautes encore, et c’est ce qui enlève du poids à vos accusations. Je vous connais, monsieur Chapdelaine, je vois quel penchant vous avez eu pour notre pays et quelle curiosité il vous inspire. Je ne sais si on le calomnie mais je suis certain qu’on se méprend sur le fond de son âme. Vous avez devant vous deux Allemands bien différents : S’il m’est permis de commencer par moi, pour que la démonstration soit plus claire, j’appartiens depuis douze cents ans au plus petit État de l’Allemagne, j’en connais chaque artisan, chaque cultivateur, j’étais appelé un jour à en devenir le souverain. Siegfried, au contraire, c’est l’Allemand idéal, il n’est fils ni de la Prusse, ni de la Bavière, ni de Bade. Son infortune lui a du moins valu d’être l’unique représentant réel d’une race qui compte soixante millions de défenseurs. Or, je vous assure que si votre Amérique et si la France connaissaient notre pensée, la pensée des deux Allemands qui sont aux deux extrémités de l’Allemagne, elles se rassureraient vite.

— Elles sont rassurées sur vous deux, dis-je, mais il reste les intermédiaires…

— Aucun juge n’a jamais été plus sévère pour l’Allemagne, reprit le prince, que l’Allemand lui-même. Je ne sais, monsieur Chapdelaine, de quelle façon les écrivains canadiens disent ses vérités au