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au moins le soleil réchauffe !… » Une autre fois, le gros acteur Bauberger avait été introduit par surprise dans Linderhof où il lui fut mandé que Lili Arlberg le lâchait, mais il s’était borné à briser les cloches à melon du jardin, ce qui n’avait pu que déprécier encore, vis-à-vis de Schwanhofer, le coefficient de l’âme masculine. Il fallut, pour qu’il commençât à concevoir l’ombre d’un soupçon, l’y préparer par une série de méprises savamment graduées, dont la première lui fit trouver Thérèse Rosenwald dans les bras de son propre frère. Cependant, la petite Eva, soucieuse déjà de son teint et redoutant la poudre d’or d’Amalia à l’égal de la poudre de riz, croissait en vertu et en gorge tiède parmi des peintres et des poètes dont le dessein bien déterminé était de lui faire réparer un jour vis-à-vis de leur sexe l’injustice de Schwanhofer.

— Ma cousine Eva, dit Zelten, est l’infirmière qui a guéri Kleist.

— En quoi cela regarde-t-il votre ami ? dit Eva.

— C’est elle qui l’a baptisé Siegfried, continuait Zelten, parce qu’il ne connaîtra jamais son père ni sa mère, et Kleist, en souvenir de notre plus grand poète, car la balle qui enleva la vie à Kleist et la mémoire à Siegfried pénétra juste à la même place. L’un perdit par elle sa vieillesse, l’autre son enfance…

Toute la dilatation en millimètres que donnait la colère au corps modèle du Major Schiffl, je pus la constater en cet instant. D’autant plus que Zelten, qui ce jour-là manquait de tact, se mit à raconter son amour malheureux pour Eva…

— Le 2 juin 1915, dit-il, je peux te l’avouer main-