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RETOUR D’ALSACE

— Ce sont des fantassins, lui explique-t-on. Ils ont des pantalons rouges.

— D’où viennent-ils ?

— De Mulhouse. Tiens, le grand sergent te donne son calot.

Je lui donne mon calot ; un peu grand, mais il ne peut s’en apercevoir… Toute la compagnie est bientôt démunie de ses calots, de ses sifflets, de ses cartes postales.

— Ce sont des cartes de Roanne, explique-t-on.

— Et vous, demandent les gens, d’où êtes-vous ?

On entend mille cris :

— De Clermont, de Paris, d’Ébreuil. Nous sommes cinq d’Ébreuil !

On cherchera cette ville d’Ébreuil sur les cartes, quand nous serons passés. Voici l’orphelinat. Les orphelins ont vieilli : ce sont des vieillards, presque tous assis : la perte des parents anéantit pour toujours. Voici une fillette qui nous suit, pénétrant dans chaque maison et ressortant par une autre porte, comme un feston. Nous marchons en rangs un peu rompus. Des seaux sont dressés devant chaque perron, seaux de vin ou de sirop, suivant que le donateur considère les soldats comme des guerriers ou des enfants. Seuls, entre ces habitants et ces soldats grisés, se dressent