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RETOUR D’ALSACE

d’un poitrinaire devenu cent kilos, d’un bilieux devenu poupin. Un de nos hommes a trouvé une épingle à chapeau, il la tend au concierge, qui le remercie.

— Elle sera à moi dans un an, lui crie-t-il.

— Je l’enverrai à votre colonel ! crie le concierge !

Voici l’école des garçons. Que d’enfants y sont encore, qui ne veulent pas savoir que c’est les vacances, que c’est la guerre ! D’abord rassemblés et massés, ils cèdent l’un après l’autre à l’attrait d’un caporal, d’un clairon, d’un fusil, et il ne reste bientôt plus, dans cette cour de garçons, que les fillettes. Des enfants de dix ans, avec de grands cols amidonnés, qui offrent leur tête. Des enfants de cinq ans, auxquels on a dû expliquer le jour même de la déclaration de guerre ce qu’était la France, ce qu’était l’Allemagne ; des enfants avec un chien, un chat, un béret marin, avec le favori qu’ils unissaient dans leur pensée au retour des Français ; avec des cuirasses et de petits casques, qui frémissent en portant nos lourdes armes et refusent de nous laisser prendre en échange leur fusil à eux. L’un d’eux a un bandeau noir sur les yeux, et ses camarades le guident. Un médecin cruel lui interdit de nous voir !