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RETOUR D’ALSACE

très chaude dès que le soleil est levé. Je suis chargé de la surveillance des otages qui dorment sur des charrettes à claire-voie, à part un conseiller municipal nerveux, dont c’est aujourd’hui la fête, que sa famille attend et qui reste seul assis sur la claie alors que tous les autres ont passé depuis longtemps au travers. Nous nous organisons, nous nous déployons, nous creusons des tranchées face à Enschingen, comme si nous n’avions d’autre but dans la guerre que de prendre ce village une fois par jour. Petit déjeuner avec Devaux chez un vieil Alsacien, qui est sourd-muet, et qui s’empresse à nous servir, protégé qu’il est par ses infirmités contre toute dénonciation. La trouvaille de deux œufs de poule, puis de deux œufs de canard, nous conduit progressivement à l’idée du grand déjeuner que nous préparons aussitôt chez deux sœurs allemandes, deux jumelles. Nous goûtons enfin l’impression d’être des conquérants ; chacun de nos mots fait courir, se heurter, ces deux images semblables, et nous avons à la fois notre volonté brune et notre volonté blonde. Poulet rôti. Crêpes aux confitures. Aux murs, sur le papier gris, des taches carrées plus claires. Il y avait là des cadres. On pourrait reconstituer, d’après la couleur plus ou moins passée, toute la famille impériale. Je fais pâlir nos esclaves en leur