Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
RETOUR D’ALSACE

femmes plus simples, plus belles, sans frayeur d’être nues : nous sommes chez nous ! Personne qui récrimine de nous revoir, qui demande une explication, à part une bourgeoise, à la fenêtre de la maison où Turenne a couché, et qui doit craindre des représailles. Un facteur nous accompagne. C’est le facteur, cette fois, qui nous offre un verre de vin. — Ce n’est pas de refus, facteur ! Il nous indique le nom de tous les villages, avec le nombre de lettres que chacun reçoit par an. La petite ferme au pied du rocher de granit n’a jamais de courrier. Il lui porte les catalogues en double, les imprimés, les lettres de faire-part revenus avec la mention « inconnu ». Le bourg au-dessus de nous, c’est Bussang. Voici les affiches balnéaires, d’où le maire a fait effacer : Bussang = Sang bu, à cause de la guerre. La jeune fille à jupe noire, en chemisette rose, les cheveux en coque sur les oreilles, c’est Mlle Marie Renaud. Pas la blonde qui est Ernestine Chaumont. Mais Renaud a hérité d’une rente de mille francs. Elle entend ne se marier qu’à sa guise et a refusé tout le monde.

Marie Renaud sourit à Forest, qui vient bavarder avec elle, la halte se fait devant sa maison, et il a deviné qu’elle s’appelait Marie ; il voudrait seulement le reste de l’adresse. Elle lui fait devi-