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en découpaient les silhouettes sur les grands murs blancs alsaciens. Nous entrons dans un pays à la vie si précise, si détaillée, que nous recherchons malgré nous le nom de la journée et que nous reconnaissons, presque de vue, le mercredi. Pays charmant : à la sortie du tunnel, un écriteau recommandait de se méfier des courants d’air. Nous succombons à son charme, nous allongeons le pas, nous levons tous ces freins qui nous empêchaient de marcher vite et d’être heureux. Nous sommes infidèles à l’Alsace. Quel bien-être, quel repos de retrouver ce qui est à nous, ce qui est réservé à nous, les Françaises et leur costume, les petites postes bâties sur le modèle des petites gares, les enfants français, tellement moins nombreux que là-bas, rares et précieux comme l’enfance même, qui sont ici des ornements, deux au plus debout sur chaque borne kilométrique, et qui nous répondent, quand nous les questionnons, par un de nos noms même : je suis Jean Parmentier, je suis Émile Richard. À travers une fenêtre, une fillette qu’on habille nous regarde. Une autre, qui ne se sait pas vue, montre sa gorge. Dans une villa, une grande jeune fille brune, les épaules nues, agite vers nous ses deux bras. Délicieux plaisir de revenir dans un pays où la pudeur a changé. Nous retrouvons nos