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90 ÉCOLE DES INDIFFERENTS

et jouer au banjo les airs que les curieux ré- clamaient. Puis, dans l'immense tramway, où j'étais assis presque seul, j'ai reçu l'ordre d'of- frir ma place à chaque dame qui montait, pour me rasseoir et me relever à chaque occa- sion. Plusieurs d'entre elles me remerciaient de la tête, s'installaient avec reconnaissance, puis, comprenant la plaisanterie, rougissaient. Me voici enfin dans mon studio, avec Charlie Hill: il joue au piano cette sonate à la prin- cesse de Lichtenstein qui fait penser à deux géants rieurs se lançant et se relançant une femme nue. J'ai levé toutes les fenêtres sur le parc éclatant, qui se dénude et qui renvoie les échos amassés au printemps, l'appel d'un coucou, le cri d'un enfant. Des moucherons qui s'équilibrent semblent peser l'air de l'été, l'air de l'automne. Sur le perron je ne sais quel barbet bâtard, honteux soudain de sa naissance, s'obstine à refuser le pain, le sucre, le lait de mon nègre Joe, qui s'entête. Je n'ose m'avouer que la pensée de Renée- Amélie m'a rendu triste ; je me dis que ce sont les brimades, ou la sonate, ou le beau temps. Ainsi les myopes, quand ils

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