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8o ÉCOLE DES INDIFFÉRENTS

Ma mère ne m'a parlé qu'une fois de Renée-Amélie.

C'était la veille de mon départ pour la pension, dans la salle à manger de la villa que nous habitions, près de Genève, depuis notre exil du Sud-Amérique. Le couvert de mon père, fusillé là-bas voilà dix ans, était toujours mis entre nous... un peu plus près d'elle depuis que j'en cassai le verre. Sur le lac, les bateaux dormaient déjà, les ailes rele- vées et jointes comme un papillon qui boit, et les réverbères des quais vrillaient con- sciencieusement lem' premier reflet jusqu'au fond des eaux. Je ne sais quel désespoir m'at- teignit soudain, venu sur ce calme comme un ricochet, et je sanglotai. Je n'osais lever les yeux vers ceux de ma mère; ils m'ef- frayaient presque : ils étaient comme ses gestes, comme ses paroles. Tout en elle était lucide, transparent, et l'on ne voyait cepen- dant rien au travers.

— Manuel ito, demanda-t-elle, comment savez-vous pleurer ? Personne a-t-il jamais pleuré, autour de vous, petit fille ! Dites son nom, qu'il soit châtié.

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