Page:Giraudoux - L’École des indifférents.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

LE FAIBLE BERNARD l83

porter bonheur. Un mouchoir blanc à ourlet bleu, qui débordait. Des gants gris perle, des gants à fermoir. Pauvre cher homme de tuteur, il avait été bien trompé!

Aujourd'hui qu'ils étaient absents, leur maison peu à peu s'abandonnait à Bernard. Les murs, les couleurs s'effritaient. Il allait profiter de sa solitude pour vivre toute la journée en poète et en gentilhomme. Comme les chasseurs qui lâchent dans les parcs les faisans nourris à la basse-cour, il donnait la volée à tous ces souvenirs, à tous ces objets domestiques. Il s'imaginait visiter, entre deux trains, le vieux cottage familial depuis long- temps inhabité. Il avait frappé par déférence à la porte de cette solitude de même que l'on frappe, avant d'entrer, à la porte d'un ami sourd. Il avait ouvert les fenêtres sur le jardin sauvage oij les catalpas protégeaient du soleil les magnolias, les hortensias. Par cette lumière nouvelle, chaque meuble, chaque bibelot avait repris pour lui sa valeur et son style. Ainsi les traits d'une beauté s'isolent peu à peu aux approches de la vieillesse, et, n'ap- partenant plus au présent, se partagent entre

�� �