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LE FAIBLE BERNARD l5l

il : Elle ? — ainsi cet être nouveau serait incapable de retenir, d'enlacer. Elle caresse- rait comme un oiseau, frémissant, sans pou- voir étreindre. Il suffirait à Bernard de se croiser les mains derrière le dos pour que l'amour de sa compagne fût impuissant.

C'est ainsi qu'il éveillait sa pensée avec des ruses parentes de celles qu'il employait pour exciter sa mémoire. Il lui fallait d'abord des moules où la déverser. Pour faire ses disserta- tions, il commençait par dessiner, au crayon de couleur, des cases sur du papier blanc. Il se représentait d'abord ses conférences à vide, en six ou sept paragraphes qu'il n'avait plus qu'à remplir, au fur et à mesure. Le procédé avait réussi à Balzac, disait son scoliaste, et aussi à Dieu pour créer le monde. Mais, une fois ébranlée, son imagination ne connaissait plus de limites. Elle suivait son cours avec la logique d'un rêve. Elle supprimait les obsta- cles du temps, de l'espace. Elle donnait en tout événement le premier grand rôle à Bernard, qui le tenait avec modestie, et rache- tait sa gloire générale, pour sauvegarder la vraisemblance, par des humiliations de détail.

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