Page:Giraudoux - L’École des indifférents.djvu/109

Cette page n’a pas encore été corrigée

DON MANUEL LE PARESSEUX Io5

vieux pasteur que je salue depuis deux jours. Tout cela est-il donc perdu, que je me prenne si ardemment à le regretter? J'ai peur de tout ce qui est nouveau, comme si l'ancien devait en mourir; j'ai peur de tout ce qui com- mence, comme d'un engagement. Du temps de Miss Draper, je pleurais, quand il fallait aller chez mes meilleurs amis. En pensée je prenais déjà contre eux la défense de mes jouets délaissés, de ma soirée solitaire, de ma tasse bleu hollande où j'aurais bu mon thé tout seul... et, le soir, en quittant mes hôtes, je pleurais. Mon poète a raison de dire que les plus belles choses, quand elles se rappro- chent, nous enserrent, nous font leurs prison- niers et que le bonheur est exigeant comme une épouse légitime. Le bonheur nous oblige, dès que nous ne haïssons pas quelqu'un, à le lui avouer. Alors le secret n'est plus au cœur de notre amour, pour le soutenir, comme le noyau dans le fruit. Alors s'évanouit tout ce qui est furtif et incertain, l'attendrissement devant un geste atténué, l'espoir et la ferveur, tout le roulis de la tendresse. Cela me suffi- sait, et j'en ai l'âme pleine encore, car ce

�� �