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autour d’un mot sur les loons à la fois et sur l’amitié, que nous aussi en France, hélas, nous ignorons !

Quand la tempête éclate ; quand, par millions, les propriétaires des cottages amènent sous l’averse le pavillon à sept raies rouges ; quand un éclair vous laisse apercevoir, dans l’auto qui précède, par le mica de la capote, les ombres de deux têtes graves ; quand l’oiseau noir aux ailes rouges rentre ses ailes ; quand les progermains, baissant leur fenêtre à guillotine, se sentent soudain isolés, vaincus, et pleurent ; quand sur les gazons publics la foule se précipite vers les tentes des sergents recruteurs et les aide à pousser à l’abri leurs réclames, torpilles et mortiers ; quand la mère à califourchon derrière la motocyclette pourpre essaye en vain d’étendre la main vers le bébé qui sommeille dans le side-car ; quand sur les clochetons des granges tournent affolés, mais en mesure, les cerfs d’or, les chimères, les vaches d’or ; quand sur l’avenue vide reste un soulier plein d’eau ; quand un coup de vent soulève la page du comptable manchot, et qu’il la retient de la pointe de sa plume, appelant à l’aide ; quand on n’entend plus sur les trottoirs, sur la mer, sur les bastingages, que la pluie… — puis quand un rayon descend, qu’un nuage tranchant le coupe, qu’il tombe ; quand l’arc-en-ciel vacille, sa gauche sur le béton du quai, sa droite sur la mer ; quand on retire dans un coin du ciel, comme la dernière allumette qui reste, le soleil, quand il flambe enfin ;