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vous un duo élégiaque ; mais je n’en compatis pas moins à votre chagrin : — moi je me suis fait un système là-dessus. — Si je suis quitté, je déplore l’aveuglement de la malheureuse qui renonce au bonheur de me posséder, je me félicite d’être débarrassé d’un cœur indigne de moi. D’ailleurs, j’ai toujours eu de la reconnaissance pour les beautés compatissantes qui se chargeaient de la besogne désagréable des ruptures. Il y a bien un petit mouvement d’amour-propre froissé ; mais, comme depuis longtemps je suis convenu vis-à-vis de moi-même qu’il existait dans l’univers une infinité de mortels doués de charmes supérieurs aux miens, cela ne dure qu’une minute, et si la piqûre saigne un peu, j’en suis quitte pour une tirade sur le mauvais goût des femmes ; — mais puisque vous n’avez pas cette philosophie, il faut retrouver, à tout prix, mademoiselle de Châteaudun ; vous savez mes principes : j’ai pour toute passion, pour tout désir véritable un profond respect. Je ne discuterai pas avec vous les mérites ou les défauts d’Irène ; vous la voulez, cela me suffit ; vous l’aurez ou j’y perdrai le peu de malais que j’ai appris lorsque je voulais aller voir à Java ces danseuses dont l’amour tue en six semaines le plus robuste Européen. Votre police secrète va s’augmenter d’un nouvel espion ; j’épouse votre colère et me mets complétement au service de votre rage ; je connais quelques-unes des relations de mademoiselle de Châteaudun, qui a des parentés dans les départements voisins de celui que j’habite, et je fais à votre intention une battue dans tous les châteaux, à beaucoup de kilomètres à la ronde.

Je n’ai pas encore trouvé ce que je cherchais ; mais j’ai découvert dans les manoirs les plus maussades un tas de charmants visages qui ne demanderaient pas mieux, cher Roger, que de vous consoler ; à moins que vous ne soyez comme Rachel, et que vous ne vouliez pas de consolations ;