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semble que toute la substance du vieil édifice, toute la vie de l’abbaye morte soient passées dans les veines parasites de cet ami végétal qui l’embrasse mais qui l’étouffe, qui retient une pierre, mais en descelle deux pour y planter ses crampons.

Vous ne sauriez vous imaginer quelle élégance touffue, quelle richesse évidée à jour jette cet envahissement de lierre sur le pignon un peu pauvre, un peu sobre de l’édifice, qui, sur cette face, n’a pour ornement que quatre étroites croisées ogivales surmontées de trois trèfles quadrilobés.

Le corps de bâtisse voisin est flanqué à son angle d’une tourelle qui a cela de particulier que, dans sa partie inférieure elle contient un puits, et dans sa partie supérieure un escalier en spirale. Le grand poète qui a inventé les cathédrales gothiques, en face de cette bizarrerie architecturale, se poserait la question suivante : Est-ce la tour qui continue le puits ou le puits qui continue la tour ? — Vous en jugerez, vous qui savez tout et autre chose encore, — excepté pourtant l’endroit où se cache mademoiselle de Châteaudun. — Une autre curiosité du bâtiment, c’est un moucharaby, espèce de balcon ouvert par le fond, pittoresquement juché au-dessus d’une porte, et d’où les bons pères pouvaient jeter des pierres, des poutres et de l’huile bouillante sur la tête de ceux qui auraient cherché à s’introduire dans le monastère pour tâter de leur cuisine et de leur vin.

C’est là que je vis seul, ou en compagnie de quatre ou cinq livres d’élite, dans une immense salle voûtée en ogive, avec des nervures dont les points d’intersection sont marqués de rosaces d’un travail, d’une délicatesse charmante. Cette salle compose tout mon appartement, car je n’ai jamais compris pourquoi l’on divisait par un tas de compartiments, comme l’intérieur d’un nécessaire de voyage, le peu d’espace qui nous est donné à chacun en ce monde