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quin à la sauce au jujube, le tout arrosé de petits verres d’huile de ricin ! Nous aurons une maison peinte en vert-pomme et en vermillon, tenue par quelque mandarine sans pieds, avec des yeux circonflexes et des ongles à servir de curedent. — Quand attèle-t-on les chevaux à la chaise de poste ?

Un sage de l’empire du Milieu dit qu’il ne faut pas contrarier le cours des événements. La vie se fait d’elle-même. Puisque votre fiancée se sauve, cela prouve que le mariage n’entre pas naturellement dans les conditions de votre existence. Vous auriez tort de vouloir forcer la main au hasard ; laissez-le agir, il sait bien mieux que vous ce qu’il vous faut. — Le hasard, c’est peut-être le pseudonyme de Dieu, quand il ne veut pas signer.

Grâce à cette bienheureuse disparition, vous pourrez conserver votre amour jeune, frais, sans détail mesquin ou désagréable ; outre les plaisirs du souvenir, vous aurez les plaisirs de l’espérance (c’est, dit-on, le plus bel ouvrage du poète Campbel), car rien ne prouve que l’idole de votre âme soit remontée dans ce monde meilleur où pourtant personne ne veut aller.

Que ma retraite ne vous inspire d’ailleurs aucune prévention défavorable contre mon courage ; Achille lui-même se serait enfui à toutes jambes à l’aspect du bonheur dont j’étais menacé. — À quelles coiffures orientales, à quels burnous prétentieusement drapés, à quels cercles d’or d’impératrice du Bas-Empire ai-je échappé par cette mesure prudente de m’être arraché subitement aux élasticités de l’asphalte parisien ? — Mais ceci doit vous paraître une énigme. — Vous ignorez probablement mon histoire, à moins qu’un Anglais trop bien informé ne vous en ait touché deux mots dans le temple d’Éléphanta. Je vais vous la raconter, par manière de représailles du récit de vos amours avec mademoiselle Irène de Châteaudun.