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celui du grand siècle ; il s’affirme qu’il a perdu toute influence chez les nations ; il s’écrie qu’il est à l’état de Bas-Empire ; il se bâtit vingt-quatre lieues de fortifications pour soutenir siège contre Mahomet II ; il pleure sur sa décadence ; il accuse le ciel qui a refusé à tous ses enfants de 1844 le génie, l’esprit et les talents, pleuvant autrefois en prose et en vers. L’univers seul n’est point de l’avis de Paris. On peut consulter l’univers : je le sais, moi, puisque j’en viens.

Et je continuai à parler, en riant, de mes voyages, et à débiter mille extravagances. Mademoiselle de Châteaudun paraissait s’amuser de cette folle gaieté. Vraiment, dit-elle, vous avez une philosophie heureuse, et la vie doit vous être bien légère, en la portant de cette façon.

— Il faut vous dire, mon cher Roger, — reprit la duchesse en feignant la commisération, — il faut vous dire que ma jeune cousine, mademoiselle Irène de Châteaudun, est malheureuse à faire pitié. Nous allons pleurer, vous et moi, sur son sort, et nous prierons l’orchestre de nous accompagner à la sourdine… Il faut donc que je vous apprenne, mon cher Roger, que cette infortunée est une héritière, et la plus riche héritière de Paris !

— Ah ! voilà bien comme vous êtes ! — dit Irène avec un délicieux mouvement de dépit qui rayonna dans les plus beaux yeux du monde, — ne dirait-on pas que la richesse rend heureux ? Ce sont les pauvres gens qui font courir ce bruit ; les gens riches seuls savent qu’il est faux.

Le rideau se levait ; je saluai la duchesse et sa jeune et belle amie, et je retournai dans ma loge. En me conduisant ainsi, je donnais à ma visite un simple caractère de politesse dégagé de toute intention.

Quelle intention, d’ailleurs, pouvais-je avoir ? En ce moment, il m’eût été bien difficile de m’adresser une réponse à cette demande. J’avais été frappé, comme tout le