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Elle aurait des larmes aujourd’hui ; elle marcherait demain dans l’ornière banale de la consolation. Une victime ne suffit pas à tant d’orgueil satiné ! il faut bien vite se consoler pour mériter encore dans son temple de nouveaux sacrifices humains !

M’entretenant et m’excitant de ces pensées, je lançai mon cheval, à travers la campagne, dans la direction qui m’avait été indiquée la veille. Je reconnus bientôt le site pittoresque, où se réfugiait la maison maudite, entre la fraîcheur des arbres et la fraîcheur des eaux. Une secousse électrique a dû vous communiquer, cher Edgard, le serrement de mon cœur à la vue de ce paysage. Il y a toute une histoire d’amour écrite à chaque pas. Il y a d’ineffables accords de bonheur dans les haies fleuries des vallées ; des caresses langoureuses dans le murmure des iris, au bord des ruisseaux ; des extases de jeunes époux dans le frémissement des feuilles ; des enivrements divins dans les exhalaisons des fleurs agrestes, et dans les jeux suaves de la lumière, de l’ombre et du vent, sous les alcôves mystérieuses des arbres. Oh ! qu’ils ont été heureux dans ce paradis ! Que d’amour et de volupté leur souffle a laissé partout ! Il y a sans doute ici un être surnaturel et invisible, qui a été le jaloux témoin de ces allégresses nuptiales, et qui s’est servi de votre épée pour les briser ! Tant de bonheur offensait le ciel. Nous avons été les instruments aveugles de quelque intelligente colère. Mais qu’importe la mort, après cette vie d’un jour ! après avoir savouré toutes les exquises tendresses de ce monde ! En le voyant, lui, ce jeune époux triomphant, remonter cet escalier de fleurs, à la clarté des premières étoiles ; en le voyant incliner ses yeux pleins d’avenir sur la beauté de l’épouse, qui ne se serait écrié, comme le poète : Ma vie pour un quart d’heure de cet homme ! Qui n’aurait accepté votre coup de poignard, au prix de sa divinité d’un moment ! Les malheureux sont ceux qui survivent, parce qu’ils ont vu passer sous leurs lèvres ce bonheur, sans le