Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme vous voyez, cher Edgard, j’insisterai toujours fortement sur le désavantage que l’arme blanche vous donnait ; et, quand il le faudra, j’exprimerai, en termes saisissants, les angoisses que j’ai subies, lorsque votre main, plus exercée au maniement de la plume que de l’épée, s’est fermée, avec hésitation, sous la coquille d’acier.

J’ai terminé ma déposition en ces termes : « Lorsque les places ont été réglées par le sort sur le terrain, nous avons remis aux combattants des épées jumelles ; le plus âgé des témoins adverses, et moi, nous nous sommes placés, à trois pas, la canne haute pour nous élancer, entre les deux épées, à nos risques et périls, si le cas l’exigeait, conformément à la plus belle et la plus française des injonctions du Code du duel, par M. de Chateauvillard.

» Au signal donné, les épées se sont bravement croisées, Edgard a vivement attaqué son adversaire, avec cette audace qu’une héroïque inexpérience donne toujours. L’autre s’étonnait d’être obligé de se défendre ; il pensait trop, dans ces moments terribles, où la pensée tue l’action. La lutte n’a pas été longue. L’épée d’Edgard, mollement écartée par une défense pleine de distractions, a traversé son adversaire de part en part. En arrivant, le chirurgien n’a trouvé qu’un cadavre. Edgard est remonté à cheval, et je ne l’ai pas revu depuis. Ceux qui restaient ont rendu les derniers devoirs au mort. »

J’ai été obligé de vous écrire ces choses, mon cher Edgard, non pas pour vous les apprendre, puisque vous les savez, mais pour vous les rappeler exactement, et judiciairement, dans leur ordre naturel et surtout, je vous le répète, pour éviter les versions contradictoires, dans les débats d’un procès.

Maintenant, il me reste à vous écrire ce que vous ne savez pas.

J’avais un devoir à remplir, bien plus terrible que le vôtre, et il a fallu me rappeler notre exécrable serment, pour me donner le courage et la force de m’obéir.