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j’ai compris cela, un enfantillage de rivalité. On ne se bat plus pour ces misères. Ce n’est plus dans nos mœurs. Nous allons arranger cela pour le mieux, n’est-ce pas ? et en ménageant l’amour-propre de ces messieurs. — Monsieur, lui ai-je répondu, c’est avec un profond regret, croyez-le bien, que je repousse une proposition d’arrangement qui est autant dans mon caractère que dans le vôtre. Nous venons ici avec une résolution immuable. Si vous saviez… — Dites-moi, je saurai, a dit l’officier, en m’interrompant avec vivacité. — Vous demandez l’impossible, ai-je repris ; c’est d’ailleurs une chose convenue. — Eh bien ! si c’est ainsi, monsieur, a dit le militaire, nous nous retirons, mon camarade et moi. — Si vous vous retirez, capitaine, — lui ai-je dit en lui serrant la main, je me retire aussi, et je ne réponds plus de ce qui arrivera. — Et qu’arrivera-t-il ? — Ces messieurs se battront sans témoins ; je vous l’affirme sur l’honneur.

L’officier a incliné sa tête, et a fait avec ses mains un signe d’acquiescement forcé.

Après une courte pause, il m’a dit d’un ton froidement poli : — Tout cela est fort désagréable. Nous nous sommes embarqués, là, dans une fâcheuse affaire… Voyons, finissons-en… A-t-on réglé les armes ? — Il est convenu, lui ai-je répondu, que les armes seront tirées au sort. — Mais, s’est écrié le militaire, il n’y a donc pas d’offenseur, pas d’offensé ! Ils ont tous deux raison, et tous deux tort ? — C’est ainsi convenu, capitaine. — Il faut encore se résigner, tirons les armes au sort, puisque c’est convenu.

Le sort a choisi l’épée.

— Avec cette arme, ai-je dit, tout le désavantage du combat était pour M. Edgard de Meilhan ; le nom de son adversaire a une certaine célébrité d’escrime parmi les amateurs. C’est un des meilleurs élèves de Pons.

Avez-vous amené un chirurgien ? m’a demandé l’officier. — Oui, monsieur. C’est le docteur Gillard. Nous l’avons laissé dans la maison la plus proche.