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revenir. Je regarde, j’écris un mot, une ligne entière, pour lui laisser plus de temps de s’avancer, pour avoir plus de chance de l’apercevoir en levant les yeux, et à chaque ligne écrite, je regarde encore. Rien ne paraît à l’horizon désert : je ne vois ni son cheval, ni le nuage de poussière qui doit l’annoncer. L’heure sonne ! trois heures ! c’est effrayant… L’espoir me quitte… tout est perdu… Je me sens mourir. Mon instinct me dit qu’il se passe quelque événement affreux pour moi sur cette terre… Ah ! mon cœur se déchire ; ce que je souffre est horrible. Raymond ! Raymond ! Valentine ! ma mère ! au secours ! au secours ! Au bout de l’avenue je vois venir un cheval ; ce n’est pas celui de Raymond. Ah voilà le sien… Mais lui, je ne le vois pas… Dieu !…

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(Cette lettre inachevée de la comtesse de Villiers, adressée à Mme de Braimes, ne portait ni adresse ni signature.)


XL


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
HÔTEL DE BELLEVUE,
À BRUXELLES (BELGIQUE)

Vous êtes à Bruxelles, en ce moment, cher Edgard. Je le crois, et j’ai besoin de le croire, pour avoir un peu de repos. Certainement, je ne crains pas pour vous les rigueurs de la justice ; mais je tiens beaucoup à savoir que vous êtes en lieu sûr et hospitalier.

Les procès criminels dénoués par une issue favorable sont toujours fort tristes. Dans votre cas, il faut se mettre à couvert, d’abord, et sonder l’opinion. L’avenir règle la conduite. Au reste, tant que la législation du duel ne sera pas faite, il faudra toujours se méfier des tribunaux. Un jour arrivera où quelque jury, ennuyé des acquittements antérieurs, fera tomber une condamnation. Il est permis